"Maroc : comment promouvoir le vrai entrepreneuriat". Point de vue de Hamid Bouchikhi de l'Essec

Publié le 4 Décembre 2014

"Maroc : comment promouvoir le vrai entrepreneuriat". Point de vue de Hamid Bouchikhi de l'Essec

En dépit de la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs publics, associatifs et privés autour de l’entrepreneuriat, Le Maroc rencontre une extrême rareté de l’entrepreneuriat de croissance. Le constat fait c’est qu’il y a plus de promoteurs de l’entrepreneuriat que d’entrepreneurs.

On dépense plus d’argent à parler d’entrepreneuriat qu’à entreprendre. La part microscopique de l’amorçage dans les investissements en capital au Maroc (2% selon l’étude de l’AMIC publiée en 2014) et l’abandon de l’amorçage par le fonds Numeric, censé être le fer de lance de l’entrepreneuriat innovant au Maroc sont en raison d’un trop faible ‘deal flow’.

LE MAROC DISPOSE-T-IL D’UN POTENTIEL ENTREPRENEURIAL INDÉPENDANT?

A partir de ce constat, deux hypothèses sont possibles. La première est pessimiste : le Maroc ne disposerait pas d’un potentiel entrepreneurial indépendant digne de ce nom. Le fait que l’essentiel des "success stories" récentes marocaines, hors immobilier, aient été l’œuvre des groupes Benjelloun, Chaabi et SNI confirme partiellement cette hypothèse.

Si, en effet, l’entrepreneuriat au Maroc serait, pour toutes sortes de raisons, plus à la portée d’acteurs établis, qui seraient seuls capables d’identifier de vraies opportunités entrepreneuriales, de constituer des équipes et de surmonter les obstacles structurels, il faudrait en tirer des conséquences pour les politiques publiques. Au lieu de s’acharner, en vain, à encourager les jeunes à entreprendre, ce qu’ils ne semblent pas faire, il vaudrait mieux inciter, par les leviers classiques de politique publique, les entreprises autochtones, pas seulement étrangères, à le faire dans les secteurs autres que l’immobilier.

Corollairement, si l’entrepreneuriat à potentiel de croissance ne peut être porté que par des entreprises et des entrepreneurs établis, les politiques publiques devraient alors assumer clairement que les jeunes en mal d’insertion professionnelle devraient être aidés à créer leur emploi, voire une micro-entreprise. Et il faut aussi arrêter d’appeler cela de l’entrepreneuriat puisqu’il s’agit, en fait, d’une simple et néanmoins nécessaire inclusion économique.

LE POTENTIEL N’A PAS ENCORE ÉTÉ ACTIVÉ

La deuxième hypothèse, plus optimiste, est que le Maroc disposerait d’un potentiel entrepreneurial mais que ce potentiel n’a pas encore été activé. Un nombre important de jeunes marocains qui entreprennent en Europe ou en Amérique du Nord, sans doute par choix personnel mais peut-être, aussi, parce que, contrairement à leurs homologues indiens ou chinois qui reviennent entreprendre dans leur pays, ils ne perçoivent pas encore le Maroc comme un écosystème favorable aux entrepreneurs indépendants et ambitieux. A l’heure où les technologies de l’information rendent possible le déploiement de modèles économiques mondiaux à partir de n’importe quel endroit équipé d’un accès internet haut débit, il est regrettable de ne pas pouvoir localiser au Maroc des start-ups à vocation internationale.

DE VRAIS OBSTACLES STRUCTURELS

Si les responsables politiques marocains partagent la conviction de l’existence d’un potentiel entrepreneurial dans le pays, au-delà des entreprises établies, il leur faudrait alors s’attaquer aux vrais obstacles structurels dressés face aux entrepreneurs indépendants.

Il faudrait souligner ici un obstacle culturel peu problématisé dans le discours public sur l’entrepreneuriat. Il s’agit des difficultés liées au respect des délais et de la parole donnée dans les milieux des affaires. De même, la lenteur et l’opacité des décisions d’achat, les changements fréquents des prestations commandées et les tentatives permanentes de renégociation des prix créent un environnement difficile. Ces pratiques sont plus surmontables par des entreprises ou groupes établis disposant de fonds propres et d’un accès plus facile au crédit.

UNE RÉVOLUTION CULTURELLE POUR EMBRASSER L’ENTREPRENEURIAT

Le fait de parler du Maroc comme un pays d’incubateurs et d’accélérateurs pour accompagner la gestation et la naissance de jeunes entreprises innovantes est une bonne chose. Cela ne pourrait se produire que si l’administration, l’économie et la société marocaine effectuent une véritable révolution culturelle pour embrasser l’entrepreneuriat non seulement dans les discours mais dans les actes.

De même, le développement de dispositifs d’entrepreneuriat social en constitue une vraie révolution dans un environnement où l’état et le marché ne permettent pas à une partie de la population de satisfaire des besoins de base. Il ne faut pas, cependant, que l’engouement pour l’entrepreneuriat social et l’activisme des ONG finisse par convaincre les marocains que c’est le seul mode d’entrepreneuriat qui serait à leur portée ; le vrai entrepreneuriat étant l’apanage de groupes nationaux ou d’entreprises étrangères.

Il ne faut pas perdre de vue que le besoin d’entrepreneuriat social est inversement proportionnel à la prévalence et à l’efficacité de l’entrepreneuriat à but lucratif. Dans une économie qui fabrique normalement des entreprises à but lucratif, en nombre et en qualité, il se crée suffisamment d’emplois, de recettes fiscales et de richesses pour permettre au grand nombre de satisfaire les besoins de base et d’accéder à un minimum de qualité de vie. L’entrepreneuriat social doit atténuer les imperfections distributives du capitalisme et non pas s’y substituer. C’est pour cette raison que le Maroc a besoin de promouvoir, parmi ses jeunes talents, l’entrepreneuriat ambitieux à but lucratif.

Imaginons ce que serait le pays si une centaine d’entrepreneurs créaient des entreprises réalisant, chacune, un milliard d’euros de chiffre d’affaires. Le volume d’activité totale généré par cette cohorte d’entrepreneurs serait largement supérieur au PIB actuel du pays. Sur un pays de 33 millions d’habitants, on devrait pouvoir la trouver cette centaine. Ei si les leaders politiques, économiques et civiques du pays faisaient de ce scénario spéculatif un objectif national mobilisateur !

Hamid Bouchikhi

Docteur en gestion de Paris X Dauphine et diplôme de l'Institut Supérieur de Commerce et d'Administration de Casablanca. Hamid Bouchikhi est passé notamment par Wharton comme invité. Il est aussi un chercheur reconnu au plan européen en théorie des organisations, de l’entreprenariat et l’innovation managériale. Il est directeur académique de l’ESSEC Entrepreneurship Center, voué aux étudiants entrepreneurs.

Cet article est un résumé de son publication sur son blog « essec knowledge ». Les intertitres sont de la rédaction de L'Usine Nouvelle.

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article